La fin du partage entre nature et culture

Le “Grand partage”

Dans ses travaux, Philippe Descola souligne le “Grand partage” sur lequel repose la culture occidentale, celle faite entre la nature et les êtres humains. Il précise : “le terme d’environnement est intéressant puisqu’au fond il est très anthropocentrique, c’est tout ce qui constitue l’entourage des humains”, et “tout cet entourage a été considéré depuis longtemps comme quelque chose d’extérieur avec lequel les humains avaient imposé une séparation”.

Catherine Larrère nuance cette idée en s’appuyant notamment sur Rousseau. “Rousseau dit “l’homme tient à tout ce qui l’environne”, ce qui n’est pas une façon de dire la supériorité humaine, mais au contraire de montrer la dépendance des humains par rapport à ce qui les environne”. Ainsi, “on fait de Rousseau l’apologiste d’une nature, alors que Rousseau ne pense jamais la nature comme une substance séparée”.

L’anthropologie comme regard critique de notre propre anthropocentrisme

Pour Catherine Larrère, l’anthropologie a permis d’apporter un regard critique sur ce “Grand partage” occidental. “On a parlé d’anthropocentrisme, on peut parler d’ethnocentrisme, qui a été une façon de dénoncer justement la tentation et la réalité de ces philosophies politiques et sociales depuis le XVIIe siècle de tout mesurer à l’aune occidentale et de se tromper d’universel”. Ainsi, “on peut dire que l’anthropologie, ce regard lointain, comme avaient dit Rousseau et Lévi-Strauss avaient repris l’expression, a eu une portée critique extrêmement importante de nous faire découvrir que tout le monde ne vivait pas comme nous”.

Philippe Descola a travaillé sur une tribu de l’Equateur : les Achuar. Il découvre alors un peuple pour qui “la nature n’existait pas comme une totalité” et qui a un lien fort avec les plantes cultivées et les animaux apprivoisés. Par exemple, les femmes qui s’occupent de ces plantes “ les appellent enfants et elles les traitent avec l’autorité maternelle qu’elles déploient avec leurs enfants” . Il ajoute : “l’une des choses que le terrain m’a appris à mettre en cause est l’idée qu’il y a une société bien constituée avec ses règles, ses normes. (…) Or, la société en tant que telle, c’est-à-dire comme une instance extérieure et supérieure aux membres qui la composent, est quelque chose qui n’existe pas en Amazonie”.

Pour en parler

Philippe Descola, anthropologue, professeur émérite au Collège de France, médaille d’or du CNRS 2012, spécialiste du rapport à la nature établi par les sociétés humaines.

• Par-delà nature et culture, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2005 ; rééd. Folio, 2016.
• La Composition des mondes. Entretiens avec Pierre Charbonnier, Flammarion, coll. « Sciences humaines », 2014 ; réed. Champs, 2017.
• L’Écologie des autres. L’anthropologie et la question de la nature , éditions Quae, 2011.

Catherine Larrère, philosophe, professeure émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste des questions éthiques et politiques liées à la crise environnementale et aux nouvelles technologies.

• Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement, Aubier, 1997 ; rééd. en poche chez Flammarion, coll. “Champs essais”, 2022.
• Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, La Découverte, 2015, avec Raphaël Larrère.
• L’écoféminisme, La Découverte, coll. “Repères”, 2023

Références sonores

• Extrait du film Le règne animal, réalisé par Thomas Cailley, 2023.
• Lecture par Carla Michel d’un extrait de Claude Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, 1949.
• “Les fleurs” de Minnie Riperton, dans l’album Come to my garden (1970).

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